Nous avons déjà planté trois mille pieds d’arbres sur les deux nouvelles fermes. Le parent de Manette est enchanté d’avoir la Rabelaye. Martineau tient la Baude. Le bien de nos quatre fermiers consiste en prés et en bois, dans lesquels ils ne portent point, comme le font quelques fermiers peu consciencieux, les fumiers destinés à nos terres de labour.
Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1836
L’importance du fumier et de la ferme dévoile une organisation de hiérarchie à mon époque. Nous sommes au crépuscule de l’industrialisation et la participation du bourgeois en agriculture fait preuve d’un intérêt non seulement financier, mais aussi technologique. Dans mes textes, les bourgeois mettent leur intellect à la terre plutôt que leurs mains. Dans mon roman Le Curé de village, que l’on retrouve dans le premier volume de la Comédie Humaine, « Etudes de moeurs, scènes de la vie privée », Véronique Graslin, la veuve d’un riche banquier de Limoges, quitte la ville et s’installe à Montignac, un petit bourg de Corrèze aux terres arides. Elle consacre une partie de sa fortune à la construction d’un barrage sur un torrent, dont la retenue d’eau permettra de fertiliser les terres agricoles et d’enrichir la population. J’écris en parlant par la voix de Véronique Graslin :
Quand les pluies cessent, au mois de juin 1834, on essaya les irrigations dans la partie des prairies ensemencées, dont la jeune verdure ainsi nourrie offrit les qualités supérieures des marciti de l’Italie et des prairies suisses. Le système d’arrosement, modelé sur celui des fermes de la Lombardie, mouillait également le terrain, dont la surface était unie comme un tapis. Le nitre des neiges, en dissolution dans ces eaux, contribua sans doute beaucoup à la qualité de l’herbe. L’ingénieur espéra trouver dans les produits quelque analogie avec ceux de la Suisse, pour qui cette substance est, comme on le sait, une source intarissable de richesse.
Honoré de Balzac, Le Curé de village, 1835
Ils font des recherches sur ce que font les Italiens ou les Suisses. Je décris ici la mise en œuvre d’une modernisation et d’un mode d’exploitation des terres qui relève d’une précision scientifique. J’évoque des pratiques culturales modernes, récemment recommandées par les agronomes : assolements, irrigations, prairies ensemencées ; un vocabulaire expert comme le « nitre » est même prononcé.
L’implication des terres, l’ingénierie, et la généralisation des savoir-faire font que la terre et l’agriculture deviennent des personnages dans mes textes. Avec cette volonté de mieux comprendre, d’améliorer et d’imaginer meilleurs rendements, les histoires d’amour impossibles et les contrastes entre personnages urbains et campagnards s’effacent devant la personnification de la terre agricole.